La pollution de l’air demeure l’un des défis de santé publique et environnementaux les plus graves, tout en restant insuffisamment pris en compte en Afrique. Ma participation à l’École africaine sur la qualité de l’air et la prévention de la pollution 2025, organisée par le Département de météorologie et de sciences du climat de la Kwame Nkrumah University of Science and Technology (KNUST) en partenariat avec le Clean Air Fund, a constitué une occasion rare d’aborder ce défi de manière approfondie, à travers la science, les politiques publiques et la pratique. Pendant dix jours intensifs, l’École a réuni des participants venus de tout le continent, créant un espace commun d’apprentissage, d’échange et de réflexion collective sur les moyens d’améliorer la réponse de l’Afrique face à la pollution de l’air.
Pourquoi des initiatives comme l’École africaine sur la qualité de l’air sont essentielles ?
Dès les premières sessions, il est apparu clairement que cette École répond à une lacune fondamentale en Afrique. Alors que la pollution de l’air est responsable de millions de décès prématurés à l’échelle mondiale, les pays africains manquent souvent de plateformes de formation pérennes, de systèmes de surveillance robustes et de coordination intersectorielle pour traiter efficacement ce problème. La collaboration entre la KNUST et le Clean Air Fund s’est distinguée comme un modèle solide, combinant leadership académique et vision de long terme orientée vers l’impact.
Comme l’a souligné le Professeur Leonard K. Amekudzi (KNUST) lors des sessions introductives, la pollution de l’air ne doit pas être considérée uniquement comme une question environnementale. Elle affecte directement la santé humaine, la productivité économique, le développement urbain et la résilience climatique. Du point de vue d’un participant, la force de l’École résidait dans cette approche intégrée, qui reliait de manière constante les sciences atmosphériques à la santé publique, aux décisions politiques et aux réalités vécues au quotidien.
Principaux enseignements sur les sources de pollution de l’air en Afrique
L’un des enseignements majeurs de l’École a été une meilleure compréhension des sources diverses et interconnectées de la pollution de l’air dans les contextes africains. Le Professeur Amekudzi a mis en évidence le rôle des émissions liées au transport, en particulier celles provenant de véhicules anciens et mal entretenus, de la dépendance des ménages à la biomasse pour la cuisson, des activités industrielles, du brûlage des déchets, des poussières de chantiers et des routes non revêtues dans la dégradation de la qualité de l’air dans de nombreuses villes africaines. Il a également insisté sur le fait que les populations vivent dans la couche limite atmosphérique, ce qui rend l’exposition à l’air pollué continue et inévitable pour une grande partie de la population.
Ces analyses ont été complétées par le Dr Cosmos Senyo Wemegah (UENR), qui a expliqué comment les polluants sont identifiés et caractérisés, avec un accent particulier sur les particules fines. Son exposé sur les raisons pour lesquelles les particules de petite taille, comme les PM₂.₅, présentent des risques sanitaires disproportionnés a permis de mieux comprendre pourquoi la pollution de l’air peut provoquer des effets graves même lorsqu’elle n’est pas visible.
Plusieurs présentations ont également mis en lumière la pollution de l’air intérieur comme un risque majeur, souvent sous-estimé. Les travaux présentés par la Professeure Marian Asantewaah Nkansah ont montré que les cuisinières travaillant dans les cantines scolaires sont fréquemment exposées à des concentrations de polluants largement supérieures aux seuils recommandés, en raison des combustibles utilisés, d’une ventilation insuffisante et de la conception des foyers. D’autres exemples abordés au cours de l’École incluaient la pollution liée au brûlage des déchets électroniques, aux activités de fumage du poisson, à l’exploitation minière et aux expositions professionnelles dans les zones forestières et industrielles.
De manière importante, Dr Pallavi Pant (Health Effects Institute) a rappelé que les sources dites naturelles, telles que les tempêtes de poussière pendant la saison de l’Harmattan, présentent elles aussi des risques sanitaires sérieux et interagissent souvent avec les émissions d’origine humaine. Cela confirme que la pollution de l’air en Afrique constitue à la fois un problème local et transfrontalier.
Le déficit persistant de données sur la qualité de l’air en Afrique
Tout au long des dix jours, le déficit de données sur la qualité de l’air est apparu comme une problématique centrale. La Dre Pallavi Pant a souligné à plusieurs reprises que de vastes régions d’Afrique ne disposent pas de stations de mesure de référence en nombre suffisant, ce qui limite la capacité des gouvernements à quantifier l’exposition, à analyser les tendances et à évaluer l’impact des politiques publiques. Si les données satellitaires et les modèles globaux apportent des informations précieuses, ils ne peuvent se substituer entièrement aux mesures au sol.
Les sessions animées par le Dr Ngongang Wandji Danube (SEI Africa) ont illustré comment les capteurs à faible coût, les observations satellitaires et les approches de fusion de données peuvent améliorer significativement la couverture spatiale lorsqu’ils sont utilisés de manière appropriée et interprétés avec prudence. Lors des activités d’engagement communautaire, les participants ont utilisé des capteurs mobiles à faible coût pour mesurer la pollution de l’air ambiant dans des environnements réels tels que les marchés, les axes routiers très fréquentés, les écoles et les sites de gestion des déchets. Ces mesures ont permis de rapprocher les perceptions des communautés des niveaux réels d’exposition.
Ces enseignements ont trouvé un écho direct dans mon propre travail. Je participe à l’École en tant que chef de projet pour l’initiative de surveillance de la qualité de l’air à faible coût portée par Kaikai au Sénégal, un projet qui vise à combler les lacunes locales en matière de données en déployant des capteurs de qualité de l’air dans les écoles et leurs environnements immédiats. Notre approche repose sur les écoles comme espaces sensibles pour la santé des enfants, mais aussi comme points d’entrée stratégiques pour la sensibilisation, l’éducation et l’engagement communautaire. L’ambition est de rendre les données locales sur la qualité de l’air librement accessibles à l’échelle du Sénégal, tout en renforçant les capacités des élèves, des enseignants et des acteurs locaux à interpréter et utiliser ces données.
L’École a renforcé une leçon clé pour notre projet. La collecte de données, à elle seule, ne suffit pas. La qualité des données, leur interprétation contextualisée et leur utilisation concrète pour la prise de décision et le plaidoyer sont tout aussi essentielles. Comme l’ont souligné plusieurs intervenants, l’Afrique dispose déjà de preuves suffisantes pour agir dans de nombreux domaines. Le principal défi réside plus souvent dans la mise en œuvre, l’application des réglementations et la durabilité à long terme que dans le manque de connaissances scientifiques.
Des données à l’action: ce qui est fait et ce qui peut être renforcé
L’École a mis en évidence un ensemble d’actions concrètes déjà en cours. Celles-ci comprennent le renforcement des réglementations sur la qualité de l’air au Ghana, l’extension des efforts de surveillance, l’évaluation des capteurs à faible coût à travers des initiatives telles qu’AFRI-SET, des interventions en faveur de la cuisson propre, ainsi que des projets de recyclage des déchets comme la Kumasi Compost and Recycling Plant. Des études sanitaires de long terme, présentées par des chercheurs d’institutions telles que le Kintampo Health Research Centre, ont également montré comment les données d’exposition peuvent être directement reliées aux résultats de santé chez les femmes enceintes et les enfants.
Les participants ont aussi examiné des actions susceptibles de réduire significativement la pollution à court et moyen terme. Il s’agit notamment d’améliorer la gestion des déchets afin de limiter le brûlage à ciel ouvert, d’appliquer effectivement les normes d’émission des véhicules, d’accélérer l’adoption des énergies propres, de repenser les systèmes de transport urbain, d’intégrer la qualité de l’air dans les services de santé et d’inscrire des indicateurs de pollution dans la planification du développement et les budgets nationaux. Comme l’a souligné le Dr Sarath Guttikunda, des améliorations progressives mais cohérentes, maintenues dans le temps, peuvent générer des bénéfices substantiels pour la santé publique.
Le rôle des médias et du leadership politique
Un autre enseignement fort de l’École est que l’action en faveur de la qualité de l’air dépend autant de la communication et de la volonté politique que des données scientifiques. La session animée par Ato Kwamena a montré de manière claire comment les récits médiatiques façonnent l’attention du public et influencent les priorités politiques. En tant que participants, nous avons appris que les données seules conduisent rarement au changement si elles ne sont pas traduites en récits compréhensibles et connectés aux expériences quotidiennes des populations, telles que la santé des enfants, les pertes de productivité ou les coûts des soins.
Les intervenants du Clean Air Fund ont insisté sur le fait que les responsables politiques sont plus enclins à agir lorsque les communautés sont informées, organisées et capables de faire entendre leur voix. Les journalistes, les chercheurs et les acteurs de la société civile jouent donc un rôle essentiel dans la traduction des données sur la qualité de l’air en messages accessibles. Un leadership politique fort est ensuite indispensable pour passer de la sensibilisation à l’application effective des politiques, notamment dans des secteurs clés comme le transport, la gestion des déchets et l’énergie.
Une expérience de formation riche et un réseau africain en construction
Au-delà des exposés, ce qui a le plus marqué, du point de vue d’un participant, est le caractère pratique et participatif de l’École. Les sessions consacrées à l’analyse des données, à l’évaluation des impacts sanitaires, à la simulation de politiques publiques, au travail de terrain communautaire, aux activités de sensibilisation dans les écoles et à la communication ont permis d’appliquer directement les connaissances acquises. Ces expériences ont renforcé ma conviction que les actions efficaces en matière de qualité de l’air doivent être ancrées dans les communautés et appuyées par des données concrètes.
Tout aussi précieux a été le réseau interafricain constitué au fil des dix jours. Des participants issus de pays anglophones et francophones ont partagé des défis similaires malgré des contextes nationaux différents. De nombreuses discussions ont mis en évidence l’importance d’étendre ce type d’initiative, en particulier en Afrique francophone, où l’accès aux formations spécialisées, aux infrastructures de surveillance et à la visibilité régionale demeure plus limité.
Perspectives
La participation à l’École africaine sur la qualité de l’air 2025 a confirmé que l’Afrique dispose de l’expertise, de la motivation et de l’esprit de collaboration nécessaires pour relever le défi de la pollution de l’air. Ce qui est désormais nécessaire, c’est la continuité, à travers des formations régulières, une coopération régionale renforcée et des investissements durables dans les systèmes de données, les institutions et les ressources humaines. Des initiatives comme cette École, combinées à des projets concrets tels que la surveillance de la qualité de l’air dans les écoles menée par Kaikai au Sénégal, offrent une voie solide pour faire de l’air propre non plus un idéal lointain, mais une réalité vécue par les communautés à travers le continent.